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Ma vie avec moi...
25 juillet 2010

La tentation JFK

La semaine passée, lassé de lire l'inévitable flot de réactions haineuses, stupides, immatures, violentes qu'engendraient ses écrits de blogueur, Jean-François Kahn a jeté l'éponge. Jusqu'à nouvel ordre, il ne bloguera plus, fatigué qu'il est de devoir endurer la prose de ceux qu'il appelle lui même les «dynamiteurs, pollueurs, obsédés et allumés ».

Je confesse qu'hier, à la lecture des réactions du billet consacré aux images de la torture ordinaire, banalisée, acceptée que l'on pratique dans la France de 2010 lors des inadmissibles expulsions d'êtres humains en état de faiblesse, j'ai éprouvé la même lassitude que Kahn face au torrent de boue réactif déversé par les mêmes «dynamiteurs, pollueurs, obsédés et allumés « . Usé, épuisé de constater les étalages de la bêtise et de la méchanceté, les ravages de l'ignorance et de l'inculture, le blogueur à très grosse audience finit par se dire que décidément, c'est peine perdue.

Depuis quelques mois, je diagnostique à travers internet, l'avilissement de l'esprit démocratique français. Ce café du commerce virtuel éloigne, sépare, divise bien plus qu'il ne rapproche, rassemble, unit. Les «dynamiteurs, pollueurs, obsédés et allumés » sont-ils majoritaires ? Je ne le sais pas. Mais ils sont nombreux, si nombreux, inlassables, intarissables, se recrutent dans tous les courants de pensée politique, littéraire, social, médiatique, philosophique, ils sont habités d'une telle haine (à commencer par la haine de soi) que tout être doué d'un peu de raison ne peut que leur rendre les armes.

On ne dira jamais assez combien la disparition des bistrots français en tant qu'espace public de débats ouverts à tous, ce qu'ils furent durant deux siècles, à la ville comme à la campagne, est le symptôme du désastre démocratique national. Si vous ne voyez pas le rapport, tant pis pour vous, car je n'ai pas envie de me lancer dans une démonstration d'envergure.

Quand j'étais enfant (petit souvenir personnel) des membres de ma famille tenaient un bistrot, à l'ombre du clocher, dans une petit bourg de campagne (où Clouzot tourna le Corbeau et quelques scènes des Diaboliques). En 1969, tout gamin, j'ai ainsi assisté dans cet endroit à des débats passionnés relatifs au référendum sur la réforme du Sénat et des Régions, finalement perdu par de Gaulle. C'est mon premier souvenir politique. Ça s'engueulait sec entre le placide quincailler qui défendait « le grand Charles », le directeur de la succursale de la banque populaire qui trouvait que Giscard avait eu raison de dire « oui mais » et finalement « non » , le cantonnier « coco » pour qui dix ans ça suffisait, le notaire qui venait de temps en temps et qui estimait Alain Poher pour son sa modération et le jeune de service à cheveux longs qui détestait tout le monde et que tout le monde traitait de « feignant ».

Tout le monde connaissait tout le monde. Pas de pseudos, pas d'injures anonymes. C'était la vie. Et surtout, il n'y avait pas de haine. On pouvait se détester, se fâcher, se faire la gueule, mais il arrivait toujours un moment où le 51 et tant d'autres breuvages oubliés (la suze, le picon bière, le fernet branca, le viandox), le tiercé, le 421 ou la belote réconciliaient tout le monde. Il existait entre ces gens, dont beaucoup avaient connu l'Occupation (et pour certains les tranchées de 14-18), le sentiment partagé que tout cela, au fond, n'était pas si grave, qu'on en avait vu d'autres, qu'on se remet de tout et y compris du pire, qu'il y a des choses plus essentielles dans la vie et que finalement, c'était une grande chance, trente ans après juin 40, de pouvoir s'engueuler librement au bistrot question politique. Ils savaient tous que la couleur de la vie n'est ni noire, ni blanche, mais gris claire ou gris foncé. Ils étaient fatalistes et optimistes, « mélange d'anarchiste et de conservateur » dans des proportions qui resteront toujours à déterminer. Ils possédaient le goût de la vie, le goût des autres, malgré tout. Ces gens étaient authentiquement français.

Ce nouveau café du commerce qu'est internet révèle le déclin politique général de la France d'aujourd'hui. Tout y blanc ou noir. Tout est prétexte à anathème, excommunication, exclusion. On ne débat pas en se disant que tout bien considéré, tout est relatif, incertain, éphémère, mouvant, on injurie, on insulte, on terrorise, on menace, on "trolle"... Finissent seuls par s'imposer, comme dans la vie publique, les «dynamiteurs, pollueurs, obsédés et allumés ».

Internet est le terrible miroir de cette France de demain qui émerge, entre sarkozysme déraciné, téléréalité pipolisée, dévalorisation de la vie publique, inculture générale, immaturité politique collective, déshumanisation progressive. Être blogueur aujourd'hui, c'est être confronté à ce nouveau monde. Comme je comprends ce que disait Claude Levi-Strauss à la fin de sa vie lorsqu'il disait : « Je m'apprête à quitter un monde que je n'aime pas ».

Bruno Roger-Petit in Le Post

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Commentaires
L
Vi, t'as raison. Elles arrivent ce soir.
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L
Je me doute bien mamzelle. Moi il ne m'en reste plus qu'un et si je le perdais je serais inconsolable aussi, même si j'en ai perdu cinq en un an. Il ne faut pas l'oublier, mais il faut aller de l'avant. Il te faut un nouveau chaton !! Et puis ta soeur arrive bientôt avec la soeur de mon Yoga...
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L
Bah moi j'ai pas le moral! Mon Pimpim me manque.
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L
Je trouve aussi.
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L
Très joli billet.
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