L'ennemi public numéro 1
Le Figaro n’a jamais autant collé aux basques de l’extrême gauche. Au point de faire sa une un lundi matin sur Olivier Besancenot
en dehors de toute actualité. En revanche, François Bayrou a beau
virevolter, ferrailler, accuser, pointer, dénoncer le pouvoir
personnel, le retour à l’ORTF, et la République des copains et les
coquins, il ne recueille que silence et mépris de la part des pittbull
de la sarkozie, qui, tel Lefvèbvre ce matin sur Europe 1, préfère traiter Fabius de rapace que de prononcer le signifiant maudit du Béarnais. Quant au Figaro,
il traite Bayrou « à la verticale », comme on dit dans les bureaux. Au
mieux une brève… Cette omission ne relève pas du hasard : ceux qui
aiment Sarko sont priés de faire silence sur ce qui l’obsède. Sauf
Alain Minc, qui, lui a sorti la Grosse Berha, traitant le patron du Modem de «Le Pen light»
, dans la lignée de Maurras, Barres et même Pétain ! Mais si Kouchner
peut traiter Pierre Péan d'antisémite, pourquoi se priver de qualifier
Bayrou de pétainiste ? Simple division du travail en réalité : on
sait bien que le public naturel d'Alain Minc est confiné aux milieux
intellectuels. En les alertant sur la nature soi-disant maurassienne du
leader du Modem, l'homme qui souffle dans l'oreille des patrons
s'essaie à une pédagogie ciblée tandis que les médias de masse font,
eux, silence sur l'opposant numéro 1 à Sarkozy.
2012, comme retour à la politique
Car
pendant que le quotidien conservateur cible le facteur, le Président,
lui, pense à François Bayrou. S’il n’est guère encombré par ses
convictions, le Président est passionné par la joute électorale. Que la
crise lui apporte un trop plein de contrariétés, et révèle son
impuissance à en contrecarrer les effets, que les bourdes de ses
proches – comme la fuite involontaire de Carla Bruni informant des
journalistes de son escapade mexicaine avec son mari dès le jeudi 5
mars – provoquent des revers médiatiques, et notre homme, avec son
mental d’adolescent éternel (ou attardé, comme l’on voudra), se replie
volontiers sur des perspectives plus souriantes, ou en tout cas, sur
lesquelles il a l’impression d’avoir meilleure prise. L’échéance
présidentielle de 2012 en fait partie et Nicolas Sarkozy a lui-même
fait « fuiter » sa nouvelle obsession lors d’un déjeuner d’urbanistes
et d’architectes, comme le racontait Libération du 16 mars. Fin
observateur (et sans doute admirateur) de François Mitterrand, le
Président a compris que le temps et la maîtrise de l’agenda étaient les
deux points fort du magistère élyséen. D’où sa propension à souffler le
chaud ou le froid sur ses intentions concernant 2012, un peu comme son
prédécesseur le fit avant 1988.
«Royal candidate idéale»
Après
avoir, des mois durant, laissé entendre qu’il aurait peut-être mieux à
faire qu’à replonger, le Président fait connaître une intention
contraire. Elle est, sans doute, plus sincère que la précédente. La
preuve ? Evoquant le sujet avec quelques barons « prochissimes » (parmi
lesquels Brice Hortefeux et Xavier Bertrand) dans des cénacles
ultra-confidentiels, le « Résident de la République » (hommage à
Bashung) est convenu de ce que François Bayrou était son adversaire le
plus dangereux pour le second tour de l’élection présidentielle. Ce
qu’un Dominique Paillé, porte parole de l’UMP traduit à sa façon en
souhaitant à son Président d’avoir à affronter Ségolène Royal qui,
dit-il, « a fait la démonstration de son incapacité à gagner une élection présidentielle ».
Du côté de l’Elysée et de l’UMP, on vante aussi sa pensée « peu
structurée » et son « aptitude à la division » qui en font « une
candidate idéale ». Officiellement, Dominique Paillé en a, bien
entendu, tout autant au service de François Bayrou, qu’il estime
incapable de résoudre son équation politique : soit il s’allie à la
gauche et perdra faute de recueillir les suffrages de l’extrême gauche
; soit il ne le fait pas mais n’a, dans ce cas, aucune chance de
conquérir la majorité. Mais l’analyse, aussi vieille que la droite
française, ne convainc guère : pour le moment, ni la droite ni la
gauche ne se sont avérées capables d’étouffer sa troisième voie. Au
contraire, c’est lui qui s’est montré, depuis mai 2007, l’opposant le
plus pugnace à la politique du gouvernement, multipliant les critiques
et les angles d'attaque là où le PS restait souvent silencieux. Bien
sûr, tout dépendra de sa capacité à crédibiliser ses idées et ses
propositions sur la crise, sujet sur lequel il souffre d'un handicap
certain, le Modem n'ayant jamais brillé par l'originalité de ses idées
sur le plan économique. Mais depuis mai 2007, il faut bien reconnaître
que François Bayrou n'a fait qu'accroître son audience et sa dimension
« gaullienne ».
Reconquérir l'électorat catholique
Comment,
donc, contrer Bayrou ? En l’invitant à rejoindre un « gouvernement
d’union nationale » ? Le pari est risqué, mais, estiment certains
sarkozystes, jouable en cas d'aggravation de la crise. En le tuant ?
Oui mais comment ? Le mieux, songent les stratèges sarkozystes, est
encore de lui ravir ses électeurs « naturels », et notamment
l’électorat catholique du Grand Ouest. D’où l’avis de recherche lancé à
l’Elysée pour trouver une politique d'origine catholique, plutôt
centriste, de fibre sociale, dynamique et capable de se lancer dans
guerre de reconquête en direction de ces électeurs. Christine Boutin
est un handicap en regard de cet électorat, regrettent certains. «
L'électorat du Grand Ouest se déplace à gauche depuis quinze ans. Ça a
commencé par les villes, et le mouvement touche maintenant les campagnes», analyse avec quelque pertinence, Dominique Paillé. C’est
peut-être avec cette arrière-pensée que l'on a proposé « la botte », en
l’occurrence une troisième place sur la liste Ouest de l’UMP à Bruno
Joncourt, lequel a décliné, jugeant peut-être plus sûre la deuxième
place offerte par le Modem. Dans le même ordre d’idée, Pierre
Méhaignerie n’a pas été mal accueilli lorsqu’il a averti le Château de
sa saillie contre les injustices provoquées par le bouclier fiscal. La
chasse au catho de gauche est donc ouverte, qui requiert sa part de
social de générosité, également utile, pense-t-on à l'Elysée, pour
recoller avec l'électorat populaire du Grand Est subtilisé à Le Pen en
2007. Oui mais alors, l'escapade mexicaine était-elle indispensable
pour ouvrir ce nouveau front ?
Philippe Cohen in Marianne2.fr