La Grande Illusion
Avec les intervenants réguliers de mon chti forum, nous avons décidé de faire des "visions collectives virtuelles", pour pouvoir discuter de films plus en profondeur, sans risquer de déflorer l'intrigue, et sans que ce soit un vieux souvenir ou une lointaine impression. Je recolle donc le commentaire que j'ai fait du premier film :
"La Grande Illusion" de Jean RENOIR - 1937
Alors je
l'avais déjà vu, mais j'en avais un souvenir très différent, il ne me
restait que les scènes avec Von Stroheim, que je croyais beaucoup plus
sombres qu'elles ne sont. Car c'est un film essentiellement pacifiste,
où les nazis sont très humains et amicaux. Le contexte est étrange
d'ailleurs : c'est un film sensé se passer en 1916, la paix devrait
être éternelle après un tel massacre, mais nous sommes quand même à la
veille de la seconde guerre mondiale, il y a donc l'ombre de Hitler
quelque part, une sorte de pressentiment, de mise en garde, ne
serait-ce que dans la gestation du film ( avec la séquence de
l'autodafé aussi, et l’évocation de l’antisémitisme ). Bon, le film en
lui-même maintenant.
Nous avons là un film en trois parties très inégales. La
première se déroule dans un camp allemand, où une poignée de
prisonniers français cherche à s'évader. On y voit un Gabin première
période, plus joyeux et vulnérable, plus insolent et plus humain que
ses rôles des années fin 50-60, un Carette qui nous fait du Chaplin, et
un Fresnay en aristocrate très strict mais lucide : "d'un côté des
enfants qui jouent aux soldats, et de l'autre des soldats qui jouent
comme des enfants", "un camp de prisonniers ça sert à s'évader".
La
seconde se déroule au château du haut-Koenigsburg, où "rien ne pousse",
si ce n'est la fraternité des hommes reclus, prisonniers ou allemands,
notamment entre Fresnay et Von Stroheim, issus du même milieu et très
respectueux l'un envers l'autre ( "même en temps de guerre les
combattants peuvent rester des hommes" ), voire admiratifs. C'est la
partie la plus intéressante, là où se trouvent les meilleurs dialogues,
les véritables propos du film, sur la différence entre les êtres ( "les
gants, le tabac, tout nous sépare", « mais enfin vous ne pouvez rien
faire comme tout le monde : dix huit mois qu’on est ensemble et on se
dit encore vous », « Boeldieu ? Je l’aime bien, mais c’est pas la même
éducation, il y a un mur entre nous » ), les nationalités ( "Les
frontières sont une invention des hommes, la nature s’en fout" ), les
classes sociales ("chacun mourrait de sa maladie de classe si nous
n'avions la guerre pour réconcilier tous les microbes" ). Ces "grandes
illusions", qui séparent davantage les membres d'une même armée que les
deux armées elles-mêmes. La plus grande illusion étant la guerre, que
l'on ne voit à aucun moment. Le film est comme en retrait du temps, de
la vie et de la mort. Sauf dans cette partie, où Fresnay se sacrifie
pour ses compagnons, tué par devoir et par discipline par Von Stroheim,
qui illustre bien le "nazi" à venir, droit et rigide, avec sa minerve.
Puis
vient la troisième et dernière partie, la cavale de Maréchal ( Gabin )
et de Rosenthal ( qu'il traite de "sale juif", propos qu'on ne reverra
pas après la guerre à venir ). Je trouve cette partie un peu inutile et
trop longue. Il y a certes une histoire d'amour en devenir ( avec la
seule scène d'amour escamotée aussi sec ), puis la liberté, dernière
illusion, puisqu’il faudra repartir se battre. Mais ça finit un peu
trop brutalement, en eau de boudin.
Un beau plaidoyer, avec une
réalisation sommaire ( faut pas faire trop attention aux ombres de
caméra et aux décors intérieurs plus que dépouillés ), mais un discours
pacifiste et humaniste bien servi. J'aurais aimé plus de situations au
château, entre Fresnay et Von Stroheim, comme dans mon souvenir, et
pour renforcer encore la thèse du film. Mais, même si ça a beaucoup
vieilli et qu’on a vu ça cent fois depuis, c’est un beau film.
13/20 ( la dernière partie rabaissant ma note )
PS : Je ne connais pas l’œuvre de Pindare, donc je ne sais pas ce que signifie son emploi ici.