Gaza : vacarme des bombes, silence des intellectuels
Le 21ème siècle commence comme le précédent, avec des tensions et
des guerres, notamment celle de 2009 menée par Israël contre une bande
de terrain encadrée de béton où vivent, parqués comme dans une réserve,
un million et demi d’humains. On se doute que l’une des plus puissantes
armées du monde a les moyens de faire un carnage, pire que celui subi
par Dresde, car des armes nouvelles sont utilisées. Tous les
observateurs présents sont stupéfaits par la violence déployée, la
souffrance et le carnage. A ces images détonantes et ces cris de
souffrances le silence des intellectuels offre un contraste saisissant.
Les jeunes générations et les amnésiques ne peuvent
comprendre ce qui se passe. Sauf que la guerre est présente, avec son
cortège de sang, pleurs et atrocités, mais au vu des réactions feutrées
dans les médias français, tout semble banal. Légitime. Justifié.
Quelques intellectuels s’emploient à justifier cette intervention, tels
Jacques Attali usant de comparaisons ad hoc, imaginant le Luxembourg
tirant des roquettes sur Nancy et ne reconnaissant pas l’Etat français.
Mais osons une autre comparaison. Admettons que la France ait envoyé
quelques missiles sur les Etats-Unis, occasionnant quelques dégâts et
peurs dans des petites localités de Pennsylvanie, avec trois morts. Les
Etats-Unis répliquent, bombardant Paris et des grandes villes,
détruisant des hôpitaux où sont soignés des blessés, certains
agonisants, d’autre amputés, parmi les 250 000 que compte la France qui
aurait enterré depuis le début du conflit 50 000 morts. Voilà ce que
cela donne en termes proportionnels.
Les
jeunes générations et les amnésiques ne peuvent se poser une question
qu’un observateur attentif se pose. Au vu des atrocités commises, le
silence des intellectuels paraît étrange, inhabituel, propre à
réveiller les consciences à l’image des chutes du Niagara qui,
lorsqu’elles gèlent, réveillent les riverains surpris de ce silence
assourdissant et inhabituel. C’est ce silence qui étonne. Quelque chose
a changé et l’on ne reconnaît plus le monde qui vient. Naguère, dans
les années 60, 70, nous aurions eu des colonnes et des pages de débats
dans les journaux, écrites par des Sartre, Derrida, Foucault, Lyotard,
Bourdieu et Glucskmann, dont on se souvient la posture aux côtés de
Sartre, le soutenant dans une marche réunissant également Aron. Alors
qu’en 2009, ce qui se passe en terme d’atrocité dépasse ce que le 20ème
a connu, excepté Hiroshima et Auschwitz, pour n’évoquer que des faits
perpétrés par des nations dites évoluées. Et donc, ce silence est
étonnant.
Inutile de jouer dans l’esthétique de la
description. D’autres l’ont fait et les images parlent. Juste un
résumé. 300 civils tués, voire plus, avec des enfants, souvent d’une
même famille. Des maisons, des immeubles détruits, des hôpitaux
bombardés, des ambulances ciblées par l’armée israélienne, un entrepôt
de l’ONU en flamme, des populations terrorisées, des bombes au
phosphore décollant les peaux, et ces armes dont tout le monde parle
sans trop savoir ce qu’elles contiennent. Sauf qu’elles sont conçues
pour détruire des individus dans un rayon de quelques mètres, la
destruction étant occasionnée par des microparticules détruisant les
cellules à l’intérieur. Laissant crever petit à petit la victime. Nous
ne sommes plus dans une arme conventionnelle destinée à tuer, voire
blesser un combattant, ou bien détruire un char. Ces armes nouvelles
ressemblent par leur effet à des mini bombes nucléaires diffusant un
rayonnement de particules dont on est saisi d’effroi au vu du résultat
lorsque des individus sont rassemblés dans un lieu. Des familles
ensevelies, des enfants abandonnés dans les ruines, des secours rendus
impossibles à organiser. Depuis Auschwitz, aucune nation n’a perpétré
une telle atrocité. Et certains s’interrogent sur l’armée israélienne
dont les opérations échapperaient au contrôle des politiques.
Et ce silence des intellectuels français ? Il
est incompréhensible. Pourtant, et le fait est un précédent, la
communauté juive des Etats-Unis est pour la première fois largement
divisée. L’un des camps ne peut plus cautionner ce qui se passe à Gaza.
Mais en France, pays des intellectuels engagés, rien, silence, où sont
les tribunes, les pétitions. Est-ce l’islamophobie rampante qui
justifie ce silence, est-ce la peur de prendre parti dans un camp
(pourtant, quelques-uns n’ont pas hésité à cautionner Israël), est-ce
la crainte d’un conflit intercommunautaire, où alors une autocensure
orchestrée par un imaginaire Léviathan dirigé par un ectoplasme élyséen
interdisant la parole ? Tous les mouvements de civilisation se sont
organisés autour de la parole, la Grèce, Rome, la Renaissance, les
Lumières, la Troisième République, les engagements du 20ème siècle.
Mais maintenant, Gaza se meurt, alors que quelques responsables d’ONG
évoquent non seulement des crimes de guerre mais des crimes contre
l’humanité. Les autorités politiques feront tout pour éviter les
investigations, les enquêtes, les procédures qui devraient logiquement
convoquer quelques dirigeants devant le TPI. Mais les intellectuels,
pourquoi se sont-ils bâillonnés ? Je ne reconnais plus la France,
enfin, pas celle que j’ai connue du temps de ma jeunesse et dont j’ai
su en lisant les livres d’histoire quels furent les combats pour les
libertés, l’humanisme…
Mais peut être que le monde ancien est
enseveli dans les ruines du temps et que nous n’ayons plus les ressorts
pour donner un nouvel avenir à la civilisation, condamnés à regarder
les drames, subir la ruse de la technique, laisser la terre aux
dominants, aux plus forts… adieu Occident !
Bernard Dugué in http://fulcanelli.vox.com/
A propos de "l'effondrement de l'Occident", quelques minutes d'Onfray ( et Bernard Stiegler, très intéressant aussi - l'intégralité de l'émission ici ) :