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Ma vie avec moi...
22 septembre 2008

Monsieur Polaczick

M. Polaczick est mort cette nuit. Ça ne vous dira rien. M. Polaczick était un homme de peu, un homme de rien diraient certains, sans doute parmi ses voisins signant des pétitions à tour de bras pour son éviction du 68 boulevard Soult. Oui, M. Polaczick ne sentait pas bon et ne tournait pas rond. A l'exception d'une sœur, à qui j'adresse toutes mes condoléances ici, personne ne voulait entendre parler de son existence. Oui, M. Polaczick ne sentait pas bon, comme tous ces gens qui n'ont pas de douche pour se laver, comme tous ces gens qui sont enfermés dans des surfaces qui n'ont rien à envier aux cellules de Fresnes, tout là-haut, dans ses Babel de solitude que sont les derniers étages de nos logements sociaux. M. Polaczick est mort et si je cite son nom avec force, c'est dans la certitude que les journalistes et autres friands de faits-divers parleront à foison de la question de l'hygiène, des drames de l'insalubrité et des responsabilités politiques avant de se rappeler que l'homme qui est mort carbonisé cette nuit en compagnie de son gentil chien dans l'incendie du huitième étage du 68 boulevard Soult, géré par la Régie immobilière de la ville de Paris, était un être humain, un de nos frères, même si la société avait décidé, comme elle le fait avec tant d'autres, de fermer les yeux sur son destin, attendant cet accident si prévisible pour reproduire à l'envi le geste de Ponce Pilate, droit devant sa bassine d'eau, sans doute pas devant sa glace.

Et M. Polaczick n’était pas seul là-haut. Je pense à V... et à A…, autres parias de cet étage de misère, l’une gravement frappée par un déséquilibre psychologique, l’autre lourdement handicapée, ne devant leur salut qu’à la bravoure et la rapide intervention des Sapeurs-Pompiers de Paris. Et à cette liste aurait pu, aurait dû s’ajouter le nom de la personne qui partage ma vie, la mère de ma toute neuve petite fille, cette même enfant dont toute ma vie je n’ai pas souhaité la venue et qui, sans le savoir, nous a sauvé la vie. Il y a encore un mois à peine, la porte de M. Polaczick faisait face à la nôtre. Il y a encore un mois, ma compagne se battait contre les services techniques de la RIVP, pour dénoncer l’imminence d’un drame à venir, sachant qu’il viendrait de là. M. Polackzyc était un écrivain d’origine polonaise, rongé par la solitude, la tristesse, dont le déséquilibre, combiné aux médicaments et à l’alcool ne pouvait pas conduire à d’autre issue dans ces conditions. Il était l’un de ceux qui, parqués à l’abri des regards, sont oubliés par la République, celle-là même qui doit assistance et protection aux plus faibles et plus démunis d’entre nous.

Parce qu’enfin, quelle est objectivement la situation ? Un étage où se retrouva mon amie pendant onze ans où cas sociaux et intermittents du spectacle – la même engeance selon notre président – sont abandonnés et jetés en pâture à la promiscuité et au manque d’hygiène sans l’assistance sociale indispensable, en proie à des services techniques déshumanisés, se contentant de demander aux services sociaux de ramasser les déchets tous les trois mois. Comme elle et moi avons les moyens de nous exprimer, de dénoncer et de nous défendre, nous avons pu sensibiliser les élus et être relogés. M. Polaczick n’avait pas cette chance. Et comme je ne veux pas entrer dans les polémiques partisanes, je dois ici rendre grâce au premier adjoint de Mme Blumenthal – elle-même relativement indifférente à ces questions, tout comme ce maire de Paris, fier d’annoncer dans son dernier meeting de campagne qu’il avait résolu ces questions durant son premier mandat… Et après tout, je peux aussi remercier Mme Blumenthal finalement et plusieurs personnes de la RIVP qui se sont battus contre les lourdeurs administratives de leur propre institution et l’indifférence de nombre de leurs collègues. Car il a fallu ferrailler sec pour faire comprendre qu’une jeune femme enceinte ne pouvait faire vivre son bébé dans un étage totalement exempt des plus élémentaires règles d’hygiène et de sécurité (dix ans pour faire installer l’eau chaude... Non pas une douche ou des toilettes, juste l’eau chaude...), où les déchets et WC de palier bouchés se disputent la palme du risque avec des portes et plinthes en bois d’allumette. Et il a fallu la conscience professionnelle de l’exceptionnel personnel de la maternité des Bluets pour nous interdire de rentrer chez ma compagne après l’accouchement et contribuer à alerter les services concernés, accélérant le fait que nous soyons relogés. Cette même maternité des Bluets qui est aujourd’hui menacée gravement par la logique ultralibérale qui, au nom d’une scandaleuse volonté de rentabilisation de l’hôpital, lui intime l’ordre de devenir une usine à bébés, tout en la délestant d’une partie de son personnel...

Je sais ce qu’il y a de confusion dans ces lignes dictées par une irrépressible colère ; celle d’entendre les « bon débarras » dans la bouche des nobles samaritains alentours, encore ceux qui pétitionnaient pour mettre le bon – car il était tout en gentillesse – M. Polaczick dans je ne sais quel mouroir, celle de voir, devant les caméras, se presser aux chevets de ceux qui ont tout perdu, politiques et autres édiles qui n’ignorent rien de ces drames en suspens et se refusent à agir comme leurs mandats le leur commande, celle enfin, et surtout en ce jour, de ces robots des services techniques, maintes et maintes fois alertés, qui se gobergent avec indécence sur les lieux du drame et se permettent même à la fraîche une pointe d’humour, venant voir mon amie pour lui signaler que, même s’il ne reste rien de l’étage, ils lui factureront quand même la vitre fendue qu’elle a laissé en déménageant. Et puisqu’on ne peut rester dans le vague, je tiens à citer ce Monsieur G., responsable technique de la RIVP qui est l’auteur de cette sortie dont le caractère macabre le dispute à l’indécence la plus inconcevable. Car tandis que le portable vissé à l’oreille, gonflé de son importance, ce sinistre personnage se pavane, il nous revient en mémoire qu’il y a peu un incendie de même nature avait été circonscrit de justesse, dans le même appartement hautement inflammable, sans que les services compétents n'interviennent. Parce qu’au moment où sans doute les journaux titreront sur la question de l’hygiène et du logement insalubre et chercheront des responsables directs parmi les hautes sphères politiques, il est nécessaire de rappeler que ce sont aussi dans les rouages anonymes de la machine que les coupables se dissimulent, protégés par la dilution des prises de décision et la fuite en avant de notre société.

Et là où ensuite il serait facile d’incriminer directement le personnel politique, il faut avant tout s’interroger encore et toujours sur une logique de société normalisée ultralibérale et individualiste qui, de pseudo-politique de gauche en vraie politique de droite, ne parle plus à l’homme, mais au consommateur qui s’agite en lui, et déclare définitivement hors-jeu celui qui n’entre plus dans les canons des niches marketing, comme M. Polaczick. Et pour rester dans la politique, puisqu’elle me prend une bonne partie de mon temps, je voudrais naïvement rappeler quelques fondamentaux. Au moment où notre Mouvement démocrate se laisse aller à quelques querelles internes au prétexte d’élire ses directions départementales ; au moment où le Parti socialiste achève de se faire hara-kiri dans la plus grande indécence à l’orée du Congrès de Reims ; au moment où l’extrême gauche fait preuve de tout son archaïsme sur le bûcher des promesses de son NPA, au moment où l’UMP se déchire, entre les courbettes de ceux qui veulent les faveurs du prince et les cris d’orfraie de ceux qui se réveillent du cauchemar de l’avoir porté si haut, il serait bon de se souvenir que la politique a pour but d’organiser la vie des citoyens, de la reformer pour le meilleur et non le pire et d’adapter tous les types de structures aux enjeux et problèmes de l’avenir. Il y est question de vies humaines, que ce soit en Afghanistan ou dans le 12e arrondissement et non pas d’un simple jeu au profit d’ambitions personnelles.

Aujourd’hui 22 septembre 2008, M. Polaczick est mort, son chien auprès de lui, et je ne l’oublierai jamais.

Wuyilu, article Agoravox

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