Le Bayrou nouveau est arrivé
François Bayrou a donné une interview très intéressante jeudi dans le Figaro,
où il endosse à la perfection le rôle de premier opposant à Sarkozy.
Pendant que l'ancienne candidate socialiste, la seule aujourd'hui à
pouvoir sérieusement lui disputer ce titre, s'enfonce dans un délire
paranoïaque pour attirer l'attention, le Béarnais dénonce à peu près
tout ce que fait le pouvoir : dérive des finances publiques, main mise
sur l'audiovisuel, déreglementation du temps de travail, politique
d'immigration, projet d'union pour la méditerranée, retour dans l'Otan,
sans parler bien sûr du style présidentiel toujours aussi égotique et
grossier. Bayrou cogne de plus en plus dur.
Ceux qui annonçaient sa mort
politique, faute de pouvoir exister dans la bipolarisation en seront
pour leur frais. Si le modem est toujours un parti fantoche, Bayrou
demeure plus que jamais l'ennemi numéro 1 de Sarkozy et son concurrent
le plus dangereux pour 2012, si toutefois Sarkozy sera en mesure de se
représenter, ce qui n'a rien de certain. Bayrou est d'autant plus fort qu'il a
su tirer les enseignements de ses échecs de 2002 et 2007 pour muscler
son discours et changer son positionnement. L'adversaire de la
bipolarisation est en passe de devenir le chef d'un vaste front
républicain anti-sarkozy.
Sa réponse à la question de savoir s'il envisageait une alliance avec le PS dévoile clairement sa nouvelle stratégie :
«Pour
proposer au pays un destin autre que celui vers lequel on l'amène, il
faudra des alliances larges. Les socialistes sont aujourd'hui devant de
grandes difficultés de ligne et aussi de leadership. Donc, pour
l'instant, ils s'enferment. Mais un jour, ils seront bien obligés
d'ouvrir les yeux. Je pense aussi aux gaullistes. Ils vont vivre le
choc du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan et
le renoncement de ce qui faisait, symboliquement, l'originalité de la
France dans le monde. Un jour, tous ceux-là se ressaisiront. Ce n'est
plus pour moi affaire de partis ou de courants. C'est la France qui est
bouleversée dans sa vocation historique, et je connais notre pays :
dans ses profondeurs, il ne l'acceptera pas.»
Une nouvelle stratégie
Jusqu'à la dernière campagne, le positionnement de Bayrou était purement centriste.
Il voulait imposer un gouvernement des meilleurs, contre la
bipolarisation, à l'abri des clivages idéologiques et de la politique
elle même, une solution de moindre mal
dans une offre inquiétante. A l'écouter, le problème fondamental de la
France semblait êtrel'alternance et la démocratie bipolaire, qu'il
voulait remplacer par un nouvel avatar de la commission européenne, un
gouvernement d'élite, pénétré de dogmes pour conduire la seule
politique qui vaille. Quoiqu'il en dise, Bayrou a compris
que cela ne marcherait jamais. Les Français n'ont pas assez confiance
dans leur classe politique pour souhaiter voir sa quintessence arriver
collectivement au pouvoir. Il lui fallait sortir de cette impasse
stratégique et accepter le jeu de la bipolarisation. Il lui faut aussi
capter les thèmes nationaux-républicains qui ont fait recette en 2007
pendant la campagne Guaino-Sarkozy.
L'ultime défenseur du modèle politique et social français
La mue a été silencieuse mais spectaculaire.
Bayrou n'est plus le tenant d'une démocratie rationalisée et apaisée, à l'allemande ou la bruxelloise : Il est l'ultime défenseur du modèle politique et social français
que Sarkozy, ce néoconservateur libéral fasciné par le modèle
américain, entreprendrait de détruire consciencieusement. Il n'est plus
l'apôtre de la construction européenne et de son œuvre de normalisation
libérale. Il se range désormais dans le rang des eurocritiques en
appelant lui aussi à une « autre Europe » qui protège notre
civilisation, notre identité et notre modèle social. Il n'est plus
l'homme de la raisonnable synthèse entre la droite et de la gauche. Il
se range résolument dans un camp, celui de l'anti-sarkozysme, et veut
prendre la tête d'un vaste front républicain.
Au fil des mois, Bayrou gagne en
épaisseur politique au point de commencer à devenir un personnage
intéressant. Il faut prendre garde à ne pas confondre Bayrou avec le
Modem. Son parti n'a en lui-même aucun avenir. Il est réduit, compte
tenu des modes de scrutins, à jouer les supplétifs ou à faire de la
figuration. Bayrou a enfanté un nouveau parti vert, un réceptacle
décent et pratique pour un vote par défaut pour ceux qui ne savent pas
(ou ne veulent pas) choisir entre la gauche et la droite. De ce fait,
l'étiquette modem condamne ceux qui la portent à plafonner à 15% dans
toutes les élections à faible participation. Le « produit » Bayrou ne partage en
rien ses caractéristiques. Il est formaté pour l'élection
présidentielle et uniquement pour celle-ci. Sa posture haute, sa
sagesse cultivée, sa mesure et sa bonhomie en font un candidat
imbattable dans un second tour, quelque soit le candidat en face. Le
plus dur étant de passer le premier.
Pour bien comprendre la nouvelle
stratégie Bayrou, il faut faire un peu de politique fiction. Imaginons
2012 : les socialistes, échaudés par la campagne de 2007 et le
pathétique destin de leur candidate qui n'a cessé que de leur faire
honte depuis, n'ont aucune envie d'avoir une nouvelle fois à convertir
un pourcentage en nombre de voix pour sauver l'apparence. Delanoë
président, ils n'y croient pas. Ils se disent que jamais les Français
ne voudront d'une tarlouze à l'Elysée. Eux, ça ne pose aucun problème,
bien sûr, mais ils anticipent l'attitude du peuple pour voter efficace,
ce qui revient finalement au même. Les plus politisés votent pour le
facteur anticapitaliste. Les autres, la plupart, votent Bayrou. Delanoë
s'effondre dans les derniers mois et finit à près de 10%. A droite Sarkozy est pris en sandwich
entre deux pôles de la droite que son discrédit a laissé se
reconstituer : Une droite techno-libérale emmenée par Dominique De
Villepin et une droite gaullo-républicaine par Nicolas Dupont Aignan.
Sarkozy est sous le feu des critiques. NDA le concurrence sur l'idée de
rupture, notamment avec l'Europe. DDV sur l'idée de réformes et sur
l'exercice de la fonction présidentielle. La campagne de 2007 ne peut
être rejouée à l'identique. Sarkozy hésite entre bilan et projet, entre
une campagne offensive et défensive, entre style présidentiel et
démagogue populiste. Sa campagne ne prend pas. Sarkozy ne sauve les
meubles que grâce au vote légitimiste de tous ceux qui vont bien, et
notamment une nouvelle fois les retraités aisés issus des années
d'opulence. Il arrive premier mais avec seulement 24%, talonné par le
Béarnais à 22%, Villepin endossant le costume du troisième homme avec
16%, NDA apparaissant comme la révélation de la campagne avec un très
honorable 8%. Le deuxième tour est une formalité.
Tous appellent à voter pour Bayrou, certains pour « faire barrage à
Sarkozy » d'autres pour entrer dans la coalition gouvernementale.
Bayrou est largement élu avec plus de 55% des voix. Il a réussi son
pari. Il est président de la république et fédère une large majorité de
droite et de gauche.
Bayrou président en 2012, l'hypothèse commence à devenir crédible.
Article Marianne2.fr
L'interview en question :
Quel jugement portez-vous sur la première année de la présidence Sarkozy ?
Le déficit français qui était en mai 2007 de 40 milliards
d'euros - c'était déjà trop - est en mai 2008, après exactement un an
de pouvoir, de 50 milliards. C'est très mauvais signe. Deuxièmement,
jour après jour, on attaque tout ce qui charpentait solidement la
société française, les fondations du modèle français. En une semaine,
on a eu une série d'attaques blessantes contre l'armée, non seulement
des mots très durs et offensants, mais une enquête de contre-espionnage
pour identifier des officiers généraux qui ont livré au Figaro une
analyse critique du livre blanc ! À ce compte, qu'aurait-on fait au
colonel de Gaulle en 1938 ? Le lendemain même, l'annonce d'un plan sans
précédent de prise de contrôle de l'audiovisuel, l'arrêt des recettes
publicitaires dirigées vers les chaînes privées et la décision de
nommer le président de France Télévisions par le pouvoir. Enfin, le
ricanement humiliant pour les syndicats et les grévistes… Or l'armée,
les syndicats, le service public, tout cela c'est la France, et c'est
cela qu'on humilie. Dangereusement.
Pourquoi avoir voté contre la loi de modernisation économique ?
Pour
les cadres, augmenter de dix-sept jours supplémentaires la norme de
temps de travail, alors que le stress, la pression sont de plus en plus
lourds, je suis sûr qu'ils le ressentent comme un choc et une
déloyauté. En même temps, le manquement à la parole de l'État envers
les partenaires sociaux est grave pour l'avenir. Je dis non.
Nicolas Sarkozy préside l'UE. Approuvez-vous ses priorités ?
Nicolas
Sarkozy a dit samedi «Je suis président de la République et président
de l'Europe». C'est un abus de langage et un enfantillage. A-t-on
jamais entendu, dans les six mois précédents, Janez Janša, premier
ministre de Slovénie, se présenter comme président de l'Europe ? Ce
n'est pas Nicolas Sarkozy qui préside l'Union pour six mois, c'est la
France qui a la responsabilité d'animer les institutions européennes.
Les quatre «priorités», environnement, immigration, PAC et armement,
méritent d'être soutenues, bien sûr. Mais la question principale, à mes
yeux, c'est l'éloignement, la fracture, entre les peuples européens et
les institutions, les peuples et les dirigeants.
Que devrait donc faire Nicolas Sarkozy ?
Répondre
en termes simples et compréhensibles aux questions qui éloignent les
peuples d'Europe de la gestion de l'Union. J'ai été frappé du
référendum irlandais. Il y avait deux phrases qui revenaient tout le
temps : la première, c'était «on n'y comprend rien»… Et c'est vrai que
le traité prétendument simplifié est cent fois plus compliqué que le
texte Giscard ! Et la seconde phrase, c'était «un petit pays comme
nous, on va se faire bouffer…». Tous les peuples, y compris le nôtre,
ont cette crainte de perdre leur identité et la maîtrise de leur
destin. Or l'Europe, c'est le contraire, c'est fait pour protéger nos
identités et notre destin.
Les Vingt-Sept ont donné
lundi à Cannes leur feu vert au plan français sur l'immigration.
N'est-ce pas une première victoire de la présidence française ?
Je
vous le dirai quand nous aurons les textes définitifs, s'ils arrivent,
à l'automne. En attendant, en France, le rapport Mazeaud porte un
jugement incroyablement dur sur les politiques de quotas, qui n'ont
réussi dans aucun pays dans le monde. Je suis pour une politique de
prise en compte des immigrés qui s'intègrent, notamment par le travail.
L'UMP entend maintenir un référendum avant l'adhésion de la Turquie. Y êtes-vous toujours opposé ?
Vous
savez les réserves que je n'ai cessé d'exprimer sur l'adhésion de la
Turquie. Mais on ne peut pas, on ne doit pas, demander à un peuple de
rejeter un autre peuple. Imaginez l'offense et donc les risques…
Que pensez-vous du projet d'Union pour la Méditerranée ?
Je
ne sais pas ce que c'est ! Quarante-quatre pays devraient y être
associés. Quand on voit les difficultés de l'Europe à 27, imaginez à
44 ! Pour l'instant, cela m'apparaît largement comme de la
communication…
Êtes-vous choqué par la présence de Bachar el-Assad le 14 Juillet ?
Il
y a trois semaines à peine, à Beyrouth, on assurait aux Libanais : «Les
coupables des assassinats seront punis»… Et le 14 Juillet, à Paris, on
va apporter au dirigeant syrien la reconnaissance internationale et son
plein retour dans le jeu des nations ! Et cela sans qu'il y ait eu
l'expression du moindre regret ou du moindre changement de ligne.
Approuvez-vous le fait que le président parle devant l'UMP ?
On
ne devrait pas accepter cela. Le président de la République cesse
d'être le président de tous les Français dès l'instant qu'il s'affiche
comme chef de parti. Au lieu d'être l'homme de la nation, il se fait le
porte-parole d'un clan. Il n'est plus la figure du rassemblement et de
la réconciliation. Il devient une figure d'affrontement et de fracture.
C'est la fonction elle-même qui est ainsi mise en cause.
Tout cela pourrait-il vous conduire à faire alliance avec le PS ?
Pour
proposer au pays un destin autre que celui vers lequel on l'amène, il
faudra des alliances larges. Les socialistes sont aujourd'hui devant de
grandes difficultés de ligne et aussi de leadership. Donc, pour
l'instant, ils s'enferment. Mais un jour, ils seront bien obligés
d'ouvrir les yeux. Je pense aussi aux gaullistes. Ils vont vivre le
choc du retour de la France dans le commandement intégré de l'Otan et
le renoncement de ce qui faisait, symboliquement, l'originalité de la
France dans le monde. Un jour, tous ceux-là se ressaisiront. Ce n'est
plus pour moi affaire de partis ou de courants. C'est la France qui est
bouleversée dans sa vocation historique, et je connais notre pays :
dans ses profondeurs, il ne l'acceptera pas. En tout cas, c'est mon
engagement.
N'y a-t-il pas des réformes qui trouvent grâce à vos yeux ?
Bien
sûr que si ! La décision sur le contrat de travail, l'intéressement,
même les heures supplémentaires, tout ce que j'ai défendu hier, je
l'approuve aujourd'hui.
Jean Arthuis a réuni vingt et un parlementaires centristes. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Quand
on vit des moments historiques, et je crois que c'est le cas, il y a
toujours des gens pour grenouiller, manœuvrer avec l'espoir de se
retrouver dans les petits papiers du pouvoir. Et aller chercher comme
égérie Christine Boutin, il fallait le trouver ! Ils se disent
«centristes». Pour moi, je ne crois au centre que s'il est indépendant,
courageux, rebelle, visionnaire. Toute autre attitude conduit à
l'inexistence et au dérisoire.
Que pensez-vous des
déclarations de Ségolène Royal qui fait un lien entre le cambriolage de
son appartement et sa dénonciation du «clan Sarkozy» ?
Franchement, je n'en pense rien…