Pour un beau mois de Mai où les présidents volent au vent
Bayrou, ce moucheron que Sarko n'arrive pas à écraser
François Bayrou est seul. Très seul. De plus en plus seul, exilé là-haut
tout là-haut, au plus haut des gradins de l'Assemblée nationale avec
les non inscrits, dans ce qu'il appelle « le pigeonnier de la liberté
». Solitaire donc, mais vivant. A ses côtés ne reste plus que son ami
Pyrénéen, le fidèle Jean Lassalle, ce géant chantant qui bat des mains
comme des ailes quand son chef tente de prêcher… dans le désert
parlementaire. La droite fait en effet comme s'il
n'existait plus, ne lui accordant pas même l'aumône d'un regard ou
d'une attention lorsqu'il se manifeste. Le brouhaha du mépris
accompagne ses rares propos. L'UMP se distrait ostensiblement, mais la
gauche aussi, qui ne veut pas lui accorder davantage d'existence,
encore moins peut-être, et vaque à son courrier comme à ses
conversations quand le président de l'UDF s'exprime à la tribune de
l'Assemblée nationale. C'est rare ; le règlement du parlement est fait
justement pour que les orphelins de groupe soient réduits à la portion
congrue. Or, la portion congrue, encore plus réduite après sa défaite
aux municipales dans sa bonne ville de Pau, cette demi-portion que les
derniers des derniers sénateurs UDF ont entrepris d'abandonner sous la
férule exigeante du président de la République en personne, cet avorton
du Centre ne perd pas le sourire.
Bayrou, « Lou ravi du Béarn » comme
l'appellent méchamment ses ennemis, et il en a beaucoup, a été
requinqué par les récentes enquêtes d'opinion qui prouvent qu'il existe
encore. C'est la force de ce thermomètre-sondagier, il peut vous donner
une « bonne » fièvre. Il y a d'abord eu le sondage CSA-Marianne qui lui
accordait 19 % d'intention de vote pour la prochaine élection
présidentielle. Soit un point de plus qu'après le premier tour de 2007,
alors qu'il a raté l'entre deux tours et que la stratégie d'alliance
tous azimuts aux élections municipales a été pour le moins erratique.
Nicolas Sarkozy en a pourtant profité pour répéter la consigne
d'extermination et s'énerver contre ceux qui ne la suivent pas, tel
Alain Juppé : « il faut écraser l'infâme… ». Le chef de l'Etat est bien
obsédé par ce moucheron dont il ne parvient pas à se débarrasser. Car la stratégie d'éradication
poursuivie par le président en personne ne fait pas de doute. Il l'a
suffisamment répété à ses proches, parfois avec colère, car leur écoute
est trop molle, nonchalante : « Nous avons laissé Bayrou survivre en
2002 et il n'a cessé de nous pourrir la vie. Il faut éviter à tout prix
qu'il puisse nous prendre des voix en 2012 ». Voilà pourquoi les
manœuvres de déstabilisation ont repris de plus belle au Sénat - un
sénateur en moins c'et de l'argent en moins pour le parti bayrouiste -
et voilà pourquoi Sarkozy presse aussi le Nouveau Centre de se
structurer et de s'organiser davantage ; le jeune Christophe Lagarde,
député de Seine Saint-Denis est ainsi particulièrement mis en avant,
car lui connaît bien Bayrou et peut donc lui faire mal… », dit-on à
l'Elysée. Mais Bayrou commence à avoir le cuir
vraiment épais, même si lui pèse cette quarantaine de pesteux qu'il
doit subir avec Marielle de Sarnez. Tant que les Français et les
militants ne le lâchent pas, ça va. Or non seulement ils ne l'ont pas
rayé du paysage mais encore ils veulent le réintroduire dans le jeu.
C'est lui qu'ils plébiscitent ainsi comme futur Premier ministre pour
succéder à Fillon, loin devant Kouchner, Alliot-Marie, Juppé, Borloo,
Dati… Il a en lui quelque chose de calme, de déterminé, de paysan, et
pour cause, qui rassure face au président Zébulon. En dépit des
critiques sur ses inconséquences et sa grosse tête, sa personnalité ne
rebute pas. Mais plus encore, ses critiques de fond du sarkozysme sont
partagées par les Français, alors qu'il les a exprimées le plus tôt et
le plus durement : son refus de l'argent roi et du culte des idoles
tocs comme de la réussite tic, son exigence de partage et d'équité, ses
appels à plus de retenue dans l'exercice d'une fonction royale que ce
spécialiste d'Henri IV a toujours voulue plus majestueuse et plus
rassembleuse, son langage de vérité sur les déficits et son exigence de
ne plus jeter l'argent par les fenêtres, sa détestation du modèle
américain de consommation et de perte d'être… »etc… Sur le fond, les
Français lui ont donné raison !
Mais les classes populaires et
moyennes qui se détachent de Sarkozy vont-elles aller vers lui, qui ne
parvient pas à constituer d'équipe ? Les perspectives sont plus
souriantes aujourd'hui qu'hier : pour les élections européennes, ce
sera plus facile qu'aux municipales avec la proportionnelle régionale.
Et puis les militants n'ont pas déserté: alors que UMP et PS perdent
plus de 30 % de leurs adhérents. Un constat le ravi : les foules déçues
du sarkozysme ne se tournent pas d'enthousiasme, il s'en faut, vers une
gauche préoccupée d'abord de ses affrontements nombrilistes. Bayrou, sûr de son coup, a prophétisé
un éclatement du PS dont il attend avec impatience les retombées. Ca ne
dépend pas de lui certes, et si le Parti socialiste échappait à ses
démons de la division, là ce serait plus coton. Le patron du Modem
n'est donc pas maître de son destin et paraît parfois plus enclin à
accrocher sa charrue à sa bonne étoile qu'à creuser profond son sillon
pragmatique. Mais Bayrou a le sourire confiant des nouveaux
évangélistes qui ont vu Dieu ou la mort de près : il décrit avec
sérénité le long chemin ouvert devant ses pas. Un chemin difficile,
escarpé, un chemin d'épreuves souvent et de croix parfois, mais il
avait prévu l'échec du sarkozysme, puis la fracture de la gauche et
enfin sa percée. Il y a près de 20 ans, il me disait et me répétait en
privé : «
je créerai une force autonome, je me présenterai à la présidentielle :
la première fois, je ferai un score à un chiffre, la seconde fois, ce
sera à deux chiffre, la troisième fois, je gagnerai… ». Il y croit… Vous comprenez pourquoi Sarkozy, Copé et les autres veulent l'enterrer vivant.
Nicolas Domenach, Marianne2.fr
* * *
En effet, Sarko veut "la mort politique" de Bayrou, et personne ne semble s'en émouvoir. C'est normal. C'est le jeu. C'est digne de notre nabotléon, donc on laisse faire, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. On découvre une note interne de l'Elysée décrivant la stratégie pour le priver de la mairie de Pau, en se mettant le candidat PS dans la poche et en cherchant une triangulaire, puis une autre note visant à saper le MoDem en le vidant de ses principales composantes, en les soudoyant, leur promettant monts et merveilles dans la majorité, ou en ressuscitant l'UDF. Mais personne n'en parle, c'est normal. Ce qui aurait fait scandale il y a encore quelques années est devenu un banal fait divers. C'est le lot de toute formation politique que d'être la cible des autres, mais quand ça atteint ces proportions, on est en droit de réclamer un temps soit peu de justice et de clarté. C'est démocratique qu'on dépense l'argent du contribuable pour tenter d'éliminer un opposant - le plus virulent des opposants soit dit en passant, car le plus éloigné de la politique sarkozyenne ? Non, ça ne semble troubler personne. Notre nabotléon a tous les pouvoirs, il n'en aura d'ailleurs jamais assez - la réforme des institutions qui s'amorce passera encore comme une lettre à la poste. Et le pays recule, sans qu'on s'émeuve. Notre nabotléon nous l'a demandé bien sagement : alors qu'il prônait le changement, la rupture, l'action, il faut qu'on attende encore quatre ans pour vérifier si le pays s'en sort, si sa politique apportera quelque chose. De toute façon, les échecs de sa politique sont dus à des erreurs de communication, il n'y est pour rien ( pas plus que pour ses éventuels succès donc ), ou alors c'est Fillon, le fusible qui va s'en prendre bien docilement jusqu'à Janvier pour mieux se venger après. Je vous le dis dès à présent : dans quatre ans, ce sera le même constat qu'aujourd'hui, mais en quatre fois pire. On a donc tout le loisir de contempler la paupérisation et les désastres irrémédiables de notre belle gouvernance. Ou de lui signifier toute notre désapprobation, pleine et entière. Le plus tôt sera le mieux.