En Géorgie, rien de nouveau...
Bruits de bottes russes en Géorgie. Une colonne de blindés et de
camions arrivée de Russie a traversé mercredi la capitale d'Abkhazie,
Soukhoumi, station balnéaire encore défigurée par la guerre civile de
1992-1993. Le millier de soldats déployés en renfort par Moscou
achevait hier de prendre position à la frontière entre le territoire
séparatiste et la Géorgie. L'Otan dénonce les «initiatives
prises par la Russie» qui «sapent l'intégrité territoriale» de la
Géorgie. La tension «a considérablement augmenté» dans la région,
avertit l'OSCE tandis que Washington se dit «inquiet». La
Maison-Blanche a indiqué hier qu'elle avait fait connaître ses
inquiétudes à Moscou par les «canaux appropriés» devant le renforcement
des troupes russes en Géorgie.
Moscou répond que ces renforts,
qui portent à 3 000 les effectifs de la «force de paix» russe,
respectent les termes du cessez-le-feu de 1994. «La Russie n'a pas
l'intention d'entrer en guerre» contre la Géorgie, assurait le chef de
la diplomatie russe Sergueï Lavrov, mardi à Luxembourg, devant ses
pairs européens. Ajoutant : «De nombreux signes laissent cependant
entendre que les dirigeants géorgiens envisagent une résolution musclée
du problème abkhaze et sud-ossète (l'Ossétie du Sud est la seconde
région prorusse de Géorgie séparée depuis la guerre). Le gouvernement
géorgien achète, aussi bien ouvertement que de manière dissimulée, une
grande quantité d'armements offensifs». Les observateurs de l'ONU,
cependant, n'ont pas noté la concentration de troupes géorgiennes à la
frontière dénoncée par Moscou. Côté géorgien, on se veut apaisant.
«Nous ne voulons pas la guerre, et je suis persuadé que vous non plus.
Je vous promets qu'il n'y aura pas de confrontation armée», a déclaré à
la télévision le président géorgien Mikhaïl Saakachvili en s'adressant
aux habitants des territoires perdus.
L'Abkhazie, république
autoproclamée, aussi grande et aussi peuplée que l'Aveyron (environ
250 000 habitants) est de facto un protectorat russe. Selon son
président, Sergueï Bagapch, 85 % des habitants détiennent un passeport
russe. On y paie en rouble, et le réseau de téléphonie mobile est russe.
La
situation s'est tendue depuis que Moscou a annoncé, à la mi-avril, le
renforcement des relations avec les deux territoires qu'elle ne
reconnaît jusqu'alors pas plus que la communauté internationale. Le
Kremlin ne digère pas la promesse obtenue par Tbilissi au sommet de
l'Otan de Bucarest de rejoindre, à terme, l'Alliance atlantique. La
Russie se sent encerclée par l'Alliance sous tutelle américaine. À
une semaine de la passation de pouvoir de Vladimir Poutine à son
dauphin Dmitri Medvedev, des analystes pensent que certains militaires
veulent acculer le futur chef de l'État à une position anti-occidentale
ferme. Poutine, qui deviendra premier ministre, a averti qu'il
protégerait ses concitoyens d'Abkhazie.
À Tbilissi, le président
Saakachvili tente de fédérer la population autour d'un discours
nationaliste, à trois semaines d'élections législatives cruciales pour
son avenir politique. Sa proposition de réunir l'opposition pour
évoquer la sécurité nationale a été rejetée par ses adversaires. Bien
que pro-Occidentaux, ils ont dénoncé la manœuvre électorale. Même
Washington, protecteur de Saakachvili, a «demandé à la Géorgie de ne
pas provoquer la Russie». Allusion au survol de l'Abkhazie par
un drone géorgien, qui fut abattu le 20 avril par un avion russe (ou
abkhaze, selon les versions). «Le vrai risque n'est pas que l'une des
parties déclenche volontairement une guerre, s'inquiète un ambassadeur
en poste à Moscou cité par Reuters, mais que l'erreur de l'une d'elles
allume un conflit qui échapperait vite à tout contrôle.»