La Symphonie en Si bémol d'Ernest CHAUSSON
La plus belle symphonie qui soit, selon moi, et un compositeur trop méconnu.
Ernest CHAUSSON ( 1855-1899 )
Issu d'une famille bourgeoise, il fait des études de droit et devient avocat avant d'aborder le domaine musical. Il étudie alors dans la classe de Jules Massenet au Conservatoire de Paris, puis auprès de César Franck. Il fait par la suite des voyages en Allemagne pour écouter notamment Richard Wagner à Bayreuth, où il assiste à la création de Parsifal. En 1886, il devient pour une dizaine d'années, le
secrétaire de la Société Nationale de Musique (fondée par Saint-Saëns
en 1870). Il se lie d'amitié avec Duparc, Fauré, Bréville, Debussy qui
fréquentent son salon renommé 22 rue de Courcelles à Paris, ainsi que
Mallarmé, Régnier, Tourguéniev, Albeniz, Isaye, Monet, Puvis de Chavane. Il rassemble une importante collection de tableaux impressionnistes.
Le 10 juin 1899, en roulant en vélo dans la propriété du baron Laurent-Atthalin au Limay, il heurte de la tête un des murs d'enceinte de sa propriété et succombe d'une fracture du crâne, laissant une oeuvre relativement modeste ( 39 opus ), mais d'une rare humanité.
( Il existe une très belle biographie de Jean GALLOIS, que je conseille à tout admirateur de cet homme, ou de cette époque, musicale ou artistique )
La Symphonie en Si bémol ( 1889-1890 )
"Il faut, par rapport à "Soir de fête", remonter de quelques années dans la production de CHAUSSON pour rencontrer cette oeuvre maîtresse, - qui révèle le mieux la personnalité du compositeur et sa place déterminante dans l'évolution de la musique symphonique française du XIXème siècle : personnalité fortement indépendante, un peu sévère et hautaine, encline à un certain pessimisme, cependant généreuse ( son dévouement à DEBUSSY, à ALBENIZ par exemple ), parfaitement libérale et accessible aux enthousiasmes. Ces traits de caractère trouvent leur reflet dans la "Symphonie" qui, par ailleurs, semble fusionner les principes de l'école franckiste et les acquis wagnériens, et annoncer "l'impressionnisme" musical en gestation.
Conçue à l'automne de 1889, la partition fut achevée à la fin de 1890, et exécutée pour la première fois le 18 avril 1891 à Paris, sous l'égide de la Société Nationale de Musique ( salle Erard ), - le compositeur étant au pupitre : l'accueil fut largement favorable. L'oeuvre sera jouée plusieurs fois en France, et à l'étranger, puis reprise en 1897 à Paris, au Cirque d'Hiver, dans une exécution mémorable ( la Philharmonie de Berlin sous la baguette de l'illustre Arthur NIKISCH ). Elle est dédiée au peintre Henry LEROLLE, beau-frère du compositeur.
1. Premier mouvement
Belle
et grave introduction dont le thème, très modulant, est dévolu aux
cordes ( sauf les violons ), à la clarinette et aux cors :
instrumentation propice à mettre en valeur l'atmosphère de lyrisme
généreux, mais souvent tendu, dont l'ensemble de la partition se
départira peu. La phrase gagne en intensité - dans la hauteur, dans le
tempo -, puis s'apaise. Et l'Allegro vivo enchaîne sur un rapide trait
ascendant des violons et des bois. Exposition du thème principal (
basson solo et cor ), caractérisé par ses intervalles de tierce. Il est
repris en tutti par l'orchestre, avant qu'apparaissent un nouveau motif
plus clair, essentiellement rythmique - sorte de scherzo aux bois et
cordes -, puis un autre, plus noblement chantant : ces deux motifs se
succèdent, se combinent en un contrepoint remarquablement virtuose des
lignes instrumentales. Vient le développement proprement dit, qui
ménage avec art les séquences d'élan et de tension rythmique (
renaissance, par exemple, du thème principal sous la forme nouvelle d'un
2/4 ), et les passages de détente où s'affermit l'inspiration mélodique.
Rééxposition, puis coda rapide et en force, sur l'énoncé du thème
principal.
2. Deuxième mouvement
La
partition autographe donne à penser que ce mouvement central coûta
beaucoup d'efforts au compositeur. Il n'est sans doute pas, toutefois,
le moins intéressant ni le moins émouvant de l'oeuvre, - se
développant, pour reprendre l'expression de Jean GALLOIS, "selon un
ample cérémonial d'une puissance et grandeur peu communes". C'est
pourrait-on dire aussi, une sorte de lamento dans lequel la douleur
trouve par instants une expression désespérée. Très large thème (
cordes moyennes et graves ), où se perçoivent encore les intervalles de
tierce déjà rencontrées, - outre un court motif de trois notes
ascendantes, puis descendantes. Un second thème majeur est exposé au
cor anglais, puis par les cordes sur un mouvement de doubles croches (
en sextolets ), - dont la douce mélancolie semble évoquer le "Temps des
lilas" déjà chanté par le "Poème de l'Amour et de la Mer". Bref rappel
du motif de tierces, plus tragique, par les cuivres, et conclusion sur
la reprise du premier thème modulant cette fois dans la tonalité
lumineuse et réconfortante de ré majeur.
3. Troisième mouvement
Il
constitue - suivant un principe franckiste - la récapitulation des
thèmes et motifs entendus précédemment. Des rafales de cordes, trouées
par des éclairs des cuivres, projettent l'orchestre entier vers
l'énoncé vigoureux d'un thème "très animé"; dévolu aux violons, ce
thème engendre un second dont s'empare l'orchestre en tutti dans une
sorte de joie triomphante, fortissimo. Nouvel apaisement favorisant la
résurgence du motif par tierces du mouvement initial ( à travers un
sautillé des cordes ). rééxposition faisant reparaître également, par
les modulations et nombre e transformations mélodiques ou rythmiques,
plusieurs motifs antérieurs : remarquable économie du jeu des bois
solistes, et lyrisme exalté des cordes dans leur registre supérieur.
Les trompettes, que secondent bientôt d'autres vents, expriment alors
un credo serein et recueilli. Et la partition s'achèvera sur un rappel
du thème de l'Introduction, redit lentement, puis sur un accord
prolongé.
On s'étonne du jugement que porta, lors de la création, le "Guide Musical" qui, après avoir loué les "harmonies recherchées" et "l'instrumentation solide et riche de sonorités et de combinaisons modernes", considéra néanmoins que la "Symphonie en si bémol" subissait "l'influence du procédé plutôt que les impulsions d'un tempérament vrai". Vaste et profonde, parfois austère, cependant animée de ferveur sombre ou jubilante, l'oeuvre s'inscrit certainement dans la mouvance franckiste. Mais elle s'en échappe également, non tant par son orchestration où se décèlent les traces d'un wagnérisme militant, et moins massive que celle de FRANCK ( les raffinements de l'harmonie apparaissent pré-debussystes ), que par ses audaces de forme - l'extrême souplesse de la conduite thématique - et de pensée : un "message" s'y dévoile, qui dit à la fois les désillusions de l'homme et tous ses espoirs, - "message" rarement perçu dans le répertoire symphonique français. Sans doute la "Symphonie" de CHAUSSON s'affirme t-elle avant tout comme un témoignage humain, souvent poignant, comme l'une de ces "grandes musiques de l'âme" dont un Jacques LONGCHAMPT a pu dire qu'elle "vous tient le coeur en alerte".
In "Guide de la Musique Symphonique" chez FAYARD, 1986.
( Je conseille la version dirigée par Charles MÜNCH, la plus passionnée, ou celles de PLASSON, ou DUTOIT, couplées avec d'autres oeuvres symphoniques majeures de CHAUSSON en CD )